Ni aube ni crépuscule
Ni aube, ni crépuscule. L’entrée dans le monde nouveau est instantanée.
Hier était différent, nous ne le savons plus, nous sommes aujourd’hui.
On sonne chez moi pour me livrer mon premier ordinateur, j’éteins la télé qui diffuse le mariage du prince Charles et de Lady Diana. C’était le 29 juillet 1981. Apple II. Le traitement de texte était «Apple writer».
Jusqu’à cette époque, le texte qu’on écrivait était figé aussitôt qu’écrit.
Si c’était un texte élaboré, qui devait être précis, clair, voire élégant, on reprenait le premier jet, on le mettait au point à coup de ratures et de surcharges. Pour déplacer une phrase, on l’entourait d’un trait qu’on prolongeait en pointe de flèche jusqu’au nouvel emplacement.
Quand on se relisait, il fallait sauter les mots barrés, suivre les flèches, attraper les surcharges au-dessus ou au-dessous de la ligne. Astreint à cette gymnastique, on jugeait difficilement ce que l’on avait écrit. Le texte était haché, bégayé. On n’était pas certain d’avoir été ni précis, ni clair, ni élégant..
On reprenait pied quand le texte revenait du bureau de la dactylo.
Une personne avait «rédigé» (écrivain, rédacteur de ministère, cadre administratif), une autre avait «mis au propre» (la secrétaire, le «pull dactylographique»).
Lisant son texte «au propre», le rédacteur en prenait une juste appréhension. Ce qui l’incitait généralement à se remettre au boulot, avec son petit stylo, avec ses petites surcharges, ses petites flèches et ses petites ratures. On retapait et on recorrigeait jusqu’à ce que le texte donne enfin pleinement satisfaction au rédacteur, au chef, à l’auteur, à l’éditeur, à tout le monde.
Dès qu’on modifiait une phrase, la page risquait d’être allongée ou raccourcie, et de décaler toutes les pages sui-vantes, qu’il fallait de nouveau dactylographier. Naturellement, la dactylo ne voyait aucun inconvénient à tout retaper, une fois, deux fois, n fois. Habile navigatrice, elle évoluait entre les flèches, les ratures, les surcharges, elle tapait en pensant à autre chose, sans se biler, sans se tromper, toute la journée, c’était son travail.
Proust raffinait sur la technique : il écrivait ses corrections sur des lanières de papier qu’il collait sur son manuscrit. Balzac, mort avant l’arrivée de la machine à écrire, corrigeait sur les épreuves de son imprimeur, qui devait refaire la composition, et dont le bénéfice fondait à mesure que le roman s’améliorait.
Nous qui avons vécu cela, nous n’y pensons plus. Les touches du clavier sont douces, le texte affiché se travaille et se modèle indéfiniment, il ne garde aucune cicatrice, aucune trace de ses versions passées, toutes les ressources de la typogra-phie sont disponibles, tout est en permanence «au propre».
L’informatique donne une maîtrise, une souplesse, une mobilité dont on n’avait pas idée il y a trente ans. Il est maintenant banal d’accéder directement à l’information. Au moindre doute, à la moindre curiosité, on est sur le Net pour retrou-ver, vérifier, préciser, développer, approfondir. On écoute, on regarde un enregistrement, un différé, on saute plus loin, on re-tourne en arrière, on sort, on pourra revenir.
La pierre taillée a donné un outil à la main, l’informatique donne un outil à l’esprit,
Un outil pour la création, un outil pour l’information, pour la communication, pour l’analyse, pour l’étude, pour l’agrégation sur Internet de milliers de sociétés vouées à des milliers de projets et d’actions.
La main s’est enrichie du poids et du tranchant de la pierre. L’usage des outils a modifié notre gestuelle au long des millénaires. Non seulement notre gestuelle mais notre créativité, notre potentiel.
Notre esprit s’enrichit de la puissance et de la souplesse de l’informatique. En quelques dizaines d’années, sur tous les continents, pour l’individu, pour la société, l’usage multiforme de l’informatique a modifié et continue de modifier notre esprit.
Profondément, définitivement.
Nous ne sommes plus les mêmes.
Texte de Madeleine Hodé, 1er décembre 2011.
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